Histoire de style...

Publié le par Etarcos

Céline l'appelait sa « petite musique ». D'autre le prononce « staïle », ou quelque chose approchant. Je vais plus m'étendre sur la « petite musique » que sur le sus et mal nommé « staïle ». Je suis - et c'est tout l'intérêt de l'être humain, cette propension à concilier aisément deux notions à priori inconciliables – plutôt platonicien dans le sens où j'ai tendance à privilégier le fond sur la forme. Je ne peux malgré tout m'empêcher de m'extasier devant la prose du dit « Céline ». Où la forme l'emporte manifestement sur le fond, je m'ébahis. J'aime, j'adore, j'en redemande. Je vous accorde que le fond d'un « voyage au bout de la nuit » est également intéressant, mais, je n'y peux rien, à mon sens, le style l'emporte. « Mea culpa », mais je préfère, une fois encore, sa forme au fond – même si le fond porte à réfléchir.

Il le nommait « petite musique » ce style. J'ai la sensation de comprendre cette expression. Je lis Céline comme j'écoute de la musique. Ses phrases ont un rythme, une musicalité que je ne peux exprimer, faute de connaissances suffisantes en musicologie. C'est du pur ressenti, bien loin du fond dont je me targue d'être le défenseur acharné. Céline a écrit des horreurs. Il les a bien écrite. La merde, sous ses doigts, a des relents de rose. Je suis bien conscient que ce que j'écris en ce moment même peux choquer – me choque moi-même. C'est tout le danger, s'il est besoin de le démontrer, que lorsque la forme prend le pas sur le fond, nous sommes dans de beaux draps tâchés de merde aux relents floraux (désolé, je n'ai pu m'empêcher de la faire...).

Je suis bien conscient que ce post n'est pas passionnant. Il reflète néanmoins une des multiples questions que je me pose : la forme est-elle dangereuse ? J'ai la prétention d'affirmer que j'ai la capacité de distinction nécessaire pour ne pas tomber dans le panneau, que je suis capable d'apprécier un style sans pour autant tomber d'accord avec l'auteur à chaque ligne. Je hais le Céline antisémite, j'adore le Céline compositeur de « petite musique ». Je méprise souvent la forme, vante le fond, et tombe en pâmoison devant quelques lignes bien senties. C'est normal docteur ?

En même temps je vis bien avec toutes mes contradictions... c'est le principal :-p

Une petite pour la route :

«
- Bardamu, qu'il me fait alors gravement et un peu triste, nos pères nous valaient bien, n'en dis pas de mal !...
- T'as raison Arthur, pour ça t'as raison ! Haineux et dociles, violés, volés, étripés et couillons toujours, ils nous valaient bien ! Tu peux le dire ! Nous ne changeons pas ! Ni de chaussettes, ni de maîtres, ni d'opinions, ou bien si tard, que ça n'en vaut plus la la peine. On est nés fidèles, on en crève nous autres ! Soldats gratuits, héros pour tout le monde et singes parlants, mots qui souffrent, on est nous les mignons du Roi Misère. C'est lui qui nous possède ! Quant on est pas sages, il serre... On a ses doigts autour du cou, toujours ça gêne pour parler, faut bien faire attention si on tient à pouvoir manger... Pour des riens, il vous étrangle... C'est pas une vie...

- Il y a l'amour, Bardamu !
- Arthur, l'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches et j'ai ma dignité moi ! que je lui réponds.
- Parlons-en de toi ! T'es un anarchiste et puis voilà tout ! »

L.F. Céline, « Voyage au bout de la nuit »

Magnifique, non ? (Pour ceux qui ne l'on pas lu, le "voyage au bout de la nuit" de Bardamu n'est pas du tout antisémite. Voir même "de gauche", je trouve... Du tout bon quoi ;-) )

Publié dans Lectures

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I
c'est quand même bien vrai que de la discussion jailllit la Lumière.... ;-)
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E
<br /> Tout à fait, et c'est une chose qui me déplait dans le fait de voter par exemple : chacun donne son avis sans réellement prendre la peine d'en discuter... La meilleure solution, selon moi, c'est<br /> tout de même le concensus... Ne rêvons pas, le concensus c'est pas toujours possible, et le vote sert bien dans ces cas là... Mais, au moins, discutons avant de bêtement voter. (Je ferais peut-être<br /> un article la-dessus, j'ai connu des expériences de vote sans discussions préalables qui m'ont prodigieusement énervés.)<br /> <br /> <br />
C
youpi! ;o)
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E
<br /> :-)<br /> <br /> <br />
C
Je suis bien d'accord avec toi, un style séduisant sera plus facilement convaincant et cela peut s'avérer dangereux. je voulais juste apporter une nuance.<br /> Il me semble difficile de reprocher à quelqu'un dont les idées ne me plaisent pas d'avoir un beau style. En revanche, j'envisage très bien de reprocher à quelqu'un de vouloir me tromper par un discours séduisant. Bref, on peut juger de l'intention moins de la forme. Quant au fond, c'est une autre histoire.<br /> <br /> (coucou isis ! ;o) )
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E
<br /> Vu comme ça, je suis d'accord avec toi ;-)<br /> <br /> <br />
I
je suis assez d'accord avec toi, Candide, il y a entre forme et fond l'intention initiale, qui va colorer de manière adaptée au fond, la forme qu'on va donner.
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E
<br /> Certes, mais encore faut-il être capable de manier correctement la forme ;-)<br /> <br /> <br />
C
Après avoir dormi dessus, je reste sceptique quant à cette séparation de la forme et du fond. Le fait d'utiliser une forme apparemment inadéquate au fond ne relève pas seulement du discours trompeur. On peut utiliser ce procédé tout aussi bien dans un but humoristique (comme Desprosges finalement) ou artistique. Cela peut également être le résultat d'une maladresse.<br /> Pour moi, et je persiste, il y a entre forme et fond une "intention" consciente ou non. Le sens de la pensée que l'on souhaite exprimer ou cacher dépend donc bien à la fois de la forme et du fond.<br /> Comme on dit l'habit ne fait pas le moine. Je ne suis pas moine mais si je me déguise en moine, cela prend un sens particulier qui dépend énormément du contexte. Non ?
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E
<br /> Hmm... Tu parles d'une forme apparemment inadéquate mais je n'ai rien dit de tel. Mon point de vue est que deux personnes ayant la même idéologie (sans connotation péjorative) peuvent<br /> exprimer celle-ci de deux manières différentes. Le premier, qui écrit "bien", va la traduire d'une certaine façon, le second, avec un style médiocre d'une autre. Le fond sera le même, l'idéologie<br /> étant identique. Seule la forme différenciera ces deux écrits. Je crois que la première personne, avec son style, sera beaucoup plus convaincante et persuasive que la seconde. Sans pour autant<br /> faire intervenir d'inadéquation dans la forme.<br /> Je te rejoins par contre sur l'intention. Il y a bien évidemment une intention dans la forme. Encore faut-il être capable de bien manier la forme, ce qui n'est pas donné à tout le monde...<br /> J'en reviens donc au style : cette capacité à bien manier la forme peut être dangereuse.<br /> Un exemple me vient en tête : je discutais avec une jeune femme, plutôt "de gauche" qui a voté pour le candidat de l'UMP au second tour. Je suis resté "sur le cul". Je lui ai demandé pourquoi, vous<br /> vous en doutez. Sa réponse m'a fait frémir : elle avait trouvé la candidate du PS très mauvaise lors du débat télévisé entre les deux tours... Même si ses idées correspondaient plus avec celles de<br /> la candidate, elle a voté pour le candidat. Pas pour le fond, pour la forme... Cette histoire est vraie, et cette jeune femme ne m'a pas semblé plus stupide que ça avant que nous n'entamions cette<br /> conversation... Elle regrette.<br /> <br /> <br />